André Fleury eut comme maîtres Letocart, et surtout Vierne et Dupré. Il faut encore ajouter Tournemire et Gigout, qu'il remplacera souvent, respectivement à sainte Clotilde et à Saint Augustin. Et puis il y a les camarades de classe, notamment Maurice Duruflé, Noëlie Pierront, Edouard Souberbielle. Quant à sa femme Cécile, elle était la fille d'Augustin Pierson, organiste de la cathédrale de Versailles, la petite-fille d'Ernest Grosjean, organiste de la cathédrale de Verdun, et la cousine germaine d'Elisabeth Brasseur, l'éminente chef de chœur.
Un environnement d'exception, pour un organiste qui ne l'est pas moins...
De son Allegro symphonique, qui reçoit un premier accessit au conservatoire de Paris, au Prélude, cantilène et final, sa dernière grande œuvre, écrite en 1981 pour Saint-Ouen de Rouen, ce sont presque soixante ans d'une vie de compositeur. Et un peu plus comme virtuose, comme pédagogue.
Est-il encore utile d'écrire que cette carrière magnifique s'est faite sans compromis, sans souci d'être au premier rang -classement que, de toute façon, son talent et sa personnalité rendaient naturel !-, sans se préoccuper des modes et des clans. A trop vouloir être moderne, on est vite démodé. C'est la raison pour laquelle l'œuvre d'André Fleury a traversé les décennies et les traversera encore, sans que l'on ait à se demander ce que viennent faire là ces œuvres qui sonnent comme des hymnes à l'architecture, à la poésie, à la liberté d'écriture conjuguée à la rigueur formelle.
Que ce soit un staccato enfiévré, une rêveuse mélodie ou une paraphrase grégorienne, le souci du compositeur est le même : la sincérité, la confession toujours pudique, la célébration d'une tradition, celle de notre école d'orgue de composition. "Je ne travaille que pour mon propre plaisir", confiait André Fleury à Pierre Denis en 1948, "et ne me crois pas obligé, dès que j'ai terminé une composition, d'en entreprendre aussitôt une autre". La probité intellectuelle du maître est donc ici résumée. C'est pour cela qu'il est impossible de découvrir une page de faible intérêt, à exclure de son catalogue. Toutes, à des degrés divers, comportent la signature que nous avons évoquée.     
Avec le maître, nul obstacle ou difficulté ne pouvait résister à une technique incroyable de souplesse et d'assurance, ses immenses mains réalisant un superbe ballet digital, toujours au service de la musicalité la plus aboutie. Il était donc bien normal que l'organiste fût le premier interprète de sa musique, une musique souvent difficile techniquement, mais constituant un corpus à nul autre pareil, un catalogue profondément original dans la littérature du XXe siècle. Chaque page sonne comme un hymne à l'architecture, à la poésie, à la liberté d'écriture conjuguée à la rigueur formelle.

Un compositeur à l’imagination fertile et personnelle

Voici ce qu’écrivait Louis Vierne, dans ses mémoires, en 1937: “Fleury s’est classé comme l’un des plus grands virtuoses de ce temps. Sa technique instrumentale est formidable; il se joue, sans le moindre effort apparent, des pires difficultés, et interprète le grand répertoire en artiste consommé. Sa réputation est déjà considérable ici et ailleurs. C’est aussi un improvisateur et un compositeur à l’imagination fertile et personnelle; il a déjà apporté une belle contribution à la littérature contemporaine d’orgue sous forme de pièces de facture soignée, d’écriture élégante et souple, semées d’inventions de haut goût ”.
Une cinquantaine d'"opus" constituent son catalogue et peuvent être divisés, même si c'est de façon quelque peu arbitraire, en deux catégories : les œuvres destinées au concert et celles écrites pour la liturgie.

la musique d'église

Comme compositeur pour l'office, nous trouvons les pièces écrites pour la revue "L'Organiste", de l'Abbé Courtonne, utilisant fréquemment des thèmes grégoriens, les Noëls, sur des thèmes traditionnels des différentes provinces de France -André Fleury collectait ces thèmes sur de simples feuilles de musique-, l'ensemble des pages parues de 1961 à 1968 formant une messe pour le XVIe dimanche après la Pentecôte et les Vingt-quatre pièces pour orgue, écrites de 1930 à 1933 sur les vingt-quatre tonalités de notre système musical. D'un abord relativement facile, elles sont à André Fleury ce que sont les 24 pièces en style libre de Vierne à l'ensemble de son œuvre : un résumé, en miniature, de ce qui fait la signature du maître, une confidence en quelque sorte.
Qu'elles soient de forme scherzo, avec le martèlement des croches détachées, qu'elles utilisent des modulations rapides ou le rythme obsédant de syncopes, ou bien encore des harmonies simples suggérant la fluidité, ces pages sont toujours d'une construction parfaite et leur apparente liberté d'écriture n'est jamais exclusive d'une grande rigueur formelle.
Catholique sincère et pratiquant convaincu, toute sa vie, il a considéré son rôle d'organiste liturgique, ou de compositeur pour l'office, comme une grâce, un devoir et un ministère, ce ministère de la musique qu'assure l'organiste. Celui-ci a non seulement la fonction de soutien, d'aide à la prière et à la méditation, mais il contribue, par la "connexion avec l'action liturgique", comme le précise la Constitution sur la sainte liturgie, à relier l'assemblée et Dieu.

La musique de concert

Les principales œuvres destinés à être jouées en concert sont : Allegro symphonique (1927) 2, Prélude et fugue n°1 (1928) 2, Prélude, Andante et Toccata (1931/1932) 3, Symphonie n°1 (1938/1943) 3, Symphonie n°2 (1946/1947) 3, Prélude et fugue n°2 (1957/1959) 3, Variations sur un Noël Bourguignon (1959/1960) 1, Fantaisie (1969) 4, Prélude, Cantilène et Final (1981) 5.
Si l'Allegro symphonique, qui se verra décerner un Premier Accessit au Conservatoire, est une œuvre comportant un réel panache mais s'inscrivant dans la tradition néo-romantique, le Prélude et fugue en fa mineur, écrit l'année suivante, comporte en germe ce qui va être la signature de Fleury : un premier mouvement "rêveur s'estompant dans un lointain aux sonorités à demi-voilées, dans une atmosphère de nonchalantes harmonies", comme l'écrit Bernard Gavoty, suivi d'une fugue vigoureuse, virtuose, déjà marquée par la rigueur.
Le Prélude, Andante et Toccata, qui est sa pièce la plus jouée, notamment à l'étranger, est une réussite absolue. De conception cyclique, utilisant un thème que l'on retrouve donc dans les trois mouvements, cette œuvre possède un style personnel et affirmé, ce qu'esquissait seulement le Prélude et fugue. "Il faut jouer la première phrase rêveuse et estompée comme un nocturne ; il faut regarder les nuages" confiait Fleury à propos du premier mouvement, un crescendo-decrescendo sur les jeux de fonds. L'Andante utilise un nouveau matériau thématique avant de reprendre le thème initial dans la fugue centrale puis de les superposer dans la troisième partie, tout en utilisant des modulations "qui chauffent l'harmonie" pour reprendre l'expression du maître. La Toccata finale est une page redoutable, au staccato enfiévré, aux rythmes eux aussi superposés, d'une grande virtuosité et, toujours, d'une architecture incomparablement ordonnée.
Norbert Dufourq a présenté de façon intéressante les deux symphonies ; qu'il me soit donc permis d'en citer des extraits. "En dotant d'une symphonie (n°1) la musique d'orgue française, Fleury s'est inscrit dans la lignée des Vierne, Widor et Barié. Malgré son caractère sombre, le premier mouvement garde, comme chez Vierne et Barié, la forme de l'allegro de sonate. Il y a plus d'expansion lyrique et plus de sérénité dans le "Tempo" suivant, écrit à la manière d'un grand Lied ou d'une romance sans paroles. Deux éléments se heurtent dans le "Scherzo" alors qu'un seul thème anime le "Final", apparenté au rondo. Le cadre demeure donc classique ; l'esprit de même. La langue ne s'interdit pas ces raffinements et ces recherches - nuances de l'âme - par laquelle un Barié, il y a trente ans, enrichissait la musique d'orgue symphonique". Quant à la deuxième Symphonie, elle comporte "un "modéré", manière de prélude clair écrit sur un thème éloquent ; un "vif" écrit sur deux thèmes, deux idées qui se heurtent, l'une qui présente toute la fluidité du ruisselet qui court, jovial et spirituel, l'autre plus mesurée, marquée pourtant au coin d'une certaine saveur populaire ; un récitatif - "avec une grande liberté de mesure" - qui met en opposition une mélodie de caractère grégorien et un élément harmonique d'une particulière poésie ; un "vif et impétueux", qui réédite un peu la syntaxe de la toccata et qui met en parallèle une idée rythmique de la plus évidente souplesse (en fait un carillon batifolant) et une idée mélodique plus rugueuse s'épanouissant dans un choral conclusif. Il y a ici une sensibilité qui s'arrête parfois aux rivages fauréens".
L'on pourrait à loisir continuer, avec la Fantaisie (sur Honos alit Artes) ou bien encore avec le second Prélude et fugue. Les traits caractéristiques sont pourtant les mêmes : un sens mélodique et de la construction formelle très sûr, une unité thématique indiscutable dans la plupart de ses œuvres, un goût pour les harmonies aussi bien poétiques qu'inattendues, un rythme empreint de force et de vitalité.

"Je ne travaille que pour mon propre plaisir", confiait André Fleury à Pierre Denis en 1948, "et ne me crois pas obligé dès que j'ai terminé une composition, d'en entreprendre aussitôt une autre". Cela explique sans doute que son catalogue ne comprenne aucune page qui ne soit pas digne d'intérêt. Toutes offrent à la fois une partie et la totalité du visage du compositeur, que ce soit dans les miniatures ou dans des pages de grande envergure, et son oeuvre d'orgue, si elle n'est pas immense par le nombre d'opus, n'en occupe pas moins une place de choix dans la littérature du XXème siècle,

Hervé Désarbre
Organiste du Val-de-Grâce

1 Ed. Procure
2 Ed. Combre
3 Ed. Lemoine
4 Ed. Bornemann
5 Ed. Forberg